LES QUINCONCES

 

 

ODE POUR LES QUINCONCES

 

 

 

Ton étrave effilée qui pointe sa presqu’île sur des crassats herbeux est la proue d’un navire qui attaque les vagues et nous fait naviguer vers des terres inconnues. Ton écrin de verdure, sertissant le bassin, nous rappelle combien ton biotope est fragile et qu’il nous faut te protéger contre vents et marées. Des gens, d’ailleurs, s’en occupent fort bien, car de leurs efforts, les enfants de demain verront encore ce que les anciens ont toujours apprécié. Quelle aventure de te découvrir au travers d’un chemin fait de matte d’argile, mais que le flot parfois, déchausse par endroits. Cachés par un roncier, aux épines farouches, tumulus et terriers attestent la présence de nos amis lapins. Sous les baccharis importés exotiques, de vieilles barques éventrées achèvent leur trépas et se délitent lentement, au gré des éléments. Dis-moi, promeneur, n’as tu pas une triste pensée pour ces formes de bois qui ont servi sans se plaindre tout au long des années pour finir aujourd’hui, sans aucune pitié ? J’ai goûté, étant jeune et donc sans expérience, à l’âcre prunelle noire, croyant me repaître d’un fruit savoureux gonflé de sucre et de soleil. J’ai vu se percher tout au haut des ramures les grands oiseaux de mer, fatigués de voyages au-delà du Bassin. J’ai vu les amoureux échanger le baiser que l’on donne une fois et se jurer l’amour pour toute éternité. J’ai gravé mon nom sur le tronc de vieux centenaires, mais rares sont les pins d’un âge respectable, car ces géants d’avant-poste ont payé leur tribu aux tempêtes furieuses ravageant la région. Et ces grandes sentinelles allongées sur le sable dressent encore vers le ciel leurs membres décharnés blanchis par les embruns. J’ai observé le ballet élégant des cygnes de passage, nageant à l’unisson sur des viviers saumâtres et mon cœur s’est gonflé de joie et d’émotion aussi, de voir que même à mon âge, rien encore n’avait beaucoup changé. La prairie maritime, où ne paissent plus les vaches, transporte toujours vers l’intérieur des terres, ses effluves mélangés de vase et de varech. J’ai entendu les jours de canicule le chant guttural des cigales invisibles. A la frontière de St Brice j'ai trempé ma main dans l'onde fraîche du ruisseau du Cirès et vainement j’ai cherché le moulin. Un figuier, une vigne, croissent à l’endroit d’une ruine circulaire ; chapelle ou maison de douanier ? Le mystère demeure ; je ne saurais jamais ce que ces vielles pierres ont un jour abrité. J'ai bien peur qu'aujourd'hui, en ces temps difficiles, ce site enchanteur ne devienne la proie des hommes sans scrupules, qui pour s’enrichir encore, vendraient en cinq minutes, ce que la nature a modelé, en des millions d’années.

François Veillon

 

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