Les questions que je me pose
Ce petit texte est un constat. Le constat dune vie. Le déroulement dune existence avec ses bons et ses mauvais souvenirs. Surtout les mauvais. Une lutte constante, nourrie du désir permanent de se dépasser. Mais il arrive souvent que lon pleure, lorsque le destin vous impose une voie que vous nauriez pas souhaité prendre.
Nous sommes quelques personnes autour de la dépouille de mon père. Nos visages son graves, recueillis, tristes et nos pensées sont dépourvues de réponses.. Chacun doit se souvenir de la mort dun proche et cela ravive sans doute de douloureux souvenirs Le dépositoire sent la mort. Autour de nous des silhouettes inconnues se déplacent à pas feutrés, comme des ombres.
Je lève les yeux; au loin, serpente la route. La circulation est intense et la vie continue.
Un commissaire, empreint de componction, nous informe:
- Mesdames, Messieurs, nous allons procéder à la fermeture du cercueil!
Je mavance vers le corps de mon père et lembrasse sur le front. Il est glacé et moite à la fois. Sa peau est jaune les yeux sont clos. La mort na pas eu raison de ce léger sourire au coin de la bouche. Peut-être a-t-il aperçu quelque chose à linstant du passage
Silence
Les hommes en costumes noirs vissent et scellent les boulons dacier. Le couvercle me prive à jamais de limage dun être que jappréciais beaucoup. Rupture. Cessation. Fermeture. Malgré mon âge, je sens se couper définitivement le cordon ombilical. Après, viendra la cérémonie à léglise puis au cimetière. La famille accepte les condoléances. Jaurais du mal à retenir mes larmes.
La chatte Mousse est morte ce matin après une agonie sans souffrance. Elle avait entre dix-huit et vingt ans, mais elle saccrochait à la vie comme un jeune chat Les animaux lorsquils meurent nous causent autant de peine que les humains. Les larmes que nous versons sur eux sont des bénédictions pour leur passage dans leur Paradis
Jespère confusément quil y a autre chose après Je ne peux pas penser que tout sarrête ainsi dune manière aussi abrupte.
Je me rappelle encore, fraîchement en mon esprit, cette chatte mourante dont les yeux implorants nous demandaient de laide. Je nous revois, tous les trois en larmes essayant de la réconforter, de lui dire de ne pas avoir peur. Mais cétait facile pour nous, malgré notre chagrin, ni elle ni nous ne pouvions savoir ce qui allait se passer pour elle.
Nous avons protégé son corps et lavons enfoui en terre. Cétait fini. Plus de Mousse; Y avait-il des aides-chats pour la faire passer de lautre côté.
Jai la foi, mais je nen suis pas sûr.
Je crois quil y a autre chose, mais je nai pas de certitudes. Jai lu des masses de livres sur ses sujets, mais je nai pas de confirmation. Je suis cartésien et à la fois en quête dabsolu.
Jai besoin de croire à une entité supérieure, une divinité omnisciente; Jai parfois la sensation que de lautre côté existent des mondes bien plus évolués que nous avec des gens qui gèrent nos existences. Autrement quelle catastrophe! Subir tant dépreuves et de souffrances pour la seule évolution dun corps charnel qui doit se déliter en poussières, cela na pas de sens! En suis-je vraiment certain? Et si tout était fini; et sil fallait simplement se contenter de la chaîne des naissances pour perpétuer lespèce humaine?
Sans doute, désespérément soucieux de connaître la face cachée du miroir, jai fait deux sorties hors de mon corps.
Panique Bien naturellement jétais dans mon lit et je pouvais penser que je rêvais. Possible. Pourtant, lorsque vous êtes dans un endroit familier et que la conscience et la pensée vous viennent avec autant de perceptions que lorsque vous êtes éveillé, alors panique.
Je me vis marcher dans le salon; je savais que mon corps était dans mon lit, mais je neus pas le courage daller le voir; Je caressais mon chat siamois, lui aussi décédé aujourdhui. Ma main senfonça dans son corps; il ne se rendit compte de rien et poursuivit sa sieste.
Je sus alors que jétais dans une autre dimension. Terrestre certes, puisque je reconnaissais les objets familiers mais différente. Sensation angoissante de penser que vous êtes vous avec vos pensées, vos réflexions cohérentes mais que vous êtes ailleurs.
La seconde fois, je me trouvais à lextérieur, près dun chêne de mon jardin. Je pouvais voir les feuilles vertes sans pouvoir les toucher. Mon cur semballait dans ma poitrine Tiens, on à conscience de son cur? Bat-t-il de la même manière que lorsque lon est éveillé?
Toujours cette sensation indescriptible ou je me rendais compte dêtre moi avec
la certitude de penser et de réfléchir avec autant dacuité. Je savais pourtant que je dormais.
Les murs extérieurs de ma chambre navaient plus la même teinte; dordinaire blancs, ils mapparurent ocres.
Je me dirigeai vers le porche dentrée et me retrouvais dans le couloir.
Je méveillais en sursaut dans mon lit et je constatais que mon cur battait aussi fort dans ma poitrine que dans ce que jappellerai le rêve éveillé.
Bien entendu, ce fut pour moi une certitude; le corps astral peut se séparer du corps physique. On sait, quand cette projection du corps vous arrive, que la mort nexiste pas. Malheureusement, cette certitude ne dure pas longtemps. La vie reprend vite le dessus. Il est nécessaire despérer, de ce fait, on demeure toujours curieux de tout et lon se remet ainsi en question à chaque instant.
Je me souviens, en écrivant ces lignes, dune autre tentative astrale; Je me trouvais en vacances à Andernos, une merveilleuse petite station balnéaire. Au cours dune nuit, je me trouvais transporté à haute altitude au-dessus de la côte. Conscience du fait réel ressenti, alors terreur. Nouveauté, cependant, jentendais une douce musique dans les sphères diffuse autour de moi. Panique de se sentir tomber comme une pierre, mais je pensais à contrôler ma respiration; aussitôt, mon vol se stabilisa et je remontais. Curieux que par mon seul sang-froid et le fait de garder mon calme jeusse pu ainsi vaincre mon angoisse
Nous rêvons tous, bien évidemment, mais quand survient la faculté de vivre le rêve avec le même potentiel de raisonnement que vous avez et que jai lorsque jécris ces lignes, vous vous sentez vraiment évoluer dans un monde qui nest pas le vôtre
Alors il y a peut-être quelque chose de lautre côté, mais il faudrait que cela se renouvelle bien plus souvent pour en avoir la certitude.
Nous allons voter aujourdhui, cest le jour des Municipales et des représentants de la CUB. Les listes sont nombreuses et il est malaisé de les ramasser une par une avant de se recueillir dans lisoloir. Ma famille et moi sommes intransigeants sur cet acte éminemment civique; nous avons fait notre devoir à chacun des scrutins car voter est un acte chèrement gagné par la République.
Je ne comprends pas pourquoi il y a tant dabstention; certes, il y a les personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer, mais qui doivent voter par procuration.
Quant aux autres, elles ne devraient pas se dispenser de ce devoir citoyen qui les fait participer à la vie du pays où ils vivent. Ils ne savent peut être pas que leurs
aïeux, quils fussent nobles ou roturiers ont souffert de lavènement dune jeune République et rien que pour cela il ne faut plus faire passer ses activités personnelles au détriment des élections. Nous sommes tous concernés, nous sommes en France, Pays merveilleux où lon goûte chaque jour les fruits de la Démocratie et quels que soient les problèmes. Il y fait bon vivre
Je ne souhaiterai pas vivre en Amérique, pays de la Liberté, car jaurai trop peur
Dêtre arrêté, mis en examen et incarcéré; Jai parfois limpression que lAmérique devient un État policier mais je nai pas les connaissances suffisantes pour en juger, car la criminalité est très élevée là-bas
Néanmoins, sachant que personne ne pourrait verser une caution pour me libérer, je finirai peut-être mal victime dune exécution excusable.
Durant quinze années, jai pratiqué lAïkido, un art martial captivant, non violent, mais au demeurant très physique. A ce sujet, les fédérations devraient ouvrir des clubs pour les adeptes vieillissants qui nont plus le même souffle, ni le même cur.
Grâce à ces échanges sportifs où la compétition nexiste pas, jai eu le loisir de côtoyer de nombreux gendarmes, policiers et inspecteurs de police et de les apprécier tout à loisir.
Ce sont des gens charmants, courtois et corrects, en fait des personnes comme vous et moi. Je sais que ce sont des hommes comme les autres et peut-être plus, car certains mont rendu plus de services que le commun des civils.
Pourtant lorsque je suis intercepté sans ménagement lors des contrôles routiers,
je ne puis mempêcher de ressentir un pincement au creux de lestomac.
Il en est de conviviaux mais dautres le sont moins.
Bien sûr ils font leur travail. Néanmoins, je ressens parfois leur intervention comme une ingérence dans ma vie privée. Certains font preuve darbitraire et je ne puis mempêcher de songer que leur pouvoir sur les gens est illimité et que derrière eux se cache tout larsenal coercitif de la justice.
Alors je mentretenais avec un ami policier de cette sensation frustrante dêtre arrêté alors quil ny a pas plus respectueux des biens et des personnes que moi, il me dit ceci:
- Tu as raison, on peut le concevoir comme un petit traumatisme, mais je peux te dire que ceux qui ont des choses à se reprocher nont pas tous ces états dâme!
Je me demande parfois si le fait de porter luniforme change radicalement la
personnalité de celui ou celle qui le porte? Doit-on se sentir différent, investi de pouvoirs supérieurs au commun de mortels; cette sensation dascendance sur autrui doit cependant être troublante . Le fait de porter une arme doit aussi conférer un état desprit particulier. Je ne sais pas si jeusse aimé être policier; peut être sagit il avant tout davoir la vocation et daimer la discipline; faire partie dun complexe structuré apporte sans doute des repères qui ne varient pas
Aujourdhui, nous allons voir ma mère Il a fallu la placer durgence dans une maison de retraite, son état nécessitant une surveillance constante dans un milieu médicalisé; on ne choisit pas son destin, cest lui qui décide pour vous.
Cétait à quelques jours de Noël, et nous allions la voir.
Nous abordâmes la route dArcins; longue ligne droite où les automobilistes, ne pouvant plus supporter de me suivre à quatre-vingt-dix kilomètres à lheure, doublent régulièrement en prenant des risques insensés. Regardant au loin, je vis plusieurs voitures garées imprudemment sur les bas-côtés étroits et herbeux.
Traversant la route, un groupe de chasseurs transportait par les pattes de devant et de derrière un pauvre chevreuil dont la tête déjetée rebondissait sur lasphalte. Ils lenfournèrent prestement dans le coffre dune camionnette
Joyeux Noël pour la pauvre bête; jespère que ça nétait pas lun de ces conducteurs de traîneaux que lon voit passer dans le ciel aux environs de cette fête.
Je ne sais pas si je suis pour ou contre les chasseurs; tous létaient dans ma famille et jeus la joie de partir de bon matin quand la brume trempait les hampes des roseaux et que ceux-ci vous mouillaient le visage. Ne pas faire de bruit, longer les maïs desséchés quun simple vent de Nord fait bruisser. Retenir son souffle
Bien évidemment je navais pas de fusil; je naurais pas été capable de supprimer la vie, mais jappréciais cette atmosphère feutrée, ce parfum daventure
Peut-on encore parler de tradition à une époque qui est pour moi le siècle des lumières ou tout change si vite et que tout, à part la guerre, ne peut aller que dans le sens du progrès et du bien-vivre.
Jai connu bien des chasseurs ayant cessé leurs exploits cynégétiques à un moment de leur existence, surtout en vieillissant, quand ils sentent que la vie devient fragile. Alors ils comprennent mieux quune bête peut souffrir et ils se mettent à la respecter en ne la chassant plus
La maison de retraite se profilait en bord de route. Sertie dun écrin de verdure elle découvrait les longues enfilades de ses bâtiments dun autre age Ma femme et moi entrâmes par une grande porte de bois à deux battants; je me doutais pourquoi
Lodeur des personnes incontinentes mélangée à celle puissante de lencaustique assaillit nos narines
Derrière la porte, en fauteuil roulant, un vieux monsieur paralysé dun côté nous accueillit en grimaçant un sourire. Une cigarette à demi-consumée pendait en travers de sa bouche. Je songeai que ce petit plaisir, avec celui de la nourriture devait être lun des derniers de son existence.
Nous parcourûmes de vastes salles et de partout les gens nous observaient.
Des visages creusés ridés, des yeux noirs, sans expression nous fixaient et nous suivaient du regard; peut-être cherchaient ils de vagues souvenirs en nous voyant. Essayaient-ils de se rappeler un être cher qui ne venait plus.
Jai compris par la suite et je mobligeais à le faire systématiquement combien il était important de serrer les mains de toutes ces personnes et de leur dire bonjour.
Lorsque la vieillesse vous atteint et que par nécessité on devient dépendant de par ses faiblesses physiques, on est obligé de confier son corps aux mains du personnel médical et de se fait, on perd son identité, son autonomie, parfois les infirmières tutoient ces personnes âgées et cela les fait souffrir, car elles ont droit au respect quel que soit leur âge.
Pourtant, je constatais, par la suite, combien certains pensionnaires pouvaient se montrer despotiques à légard du personnel soignant, qui pourtant faisait de son mieux pour soccuper deux.
Ma bicyclette bondissait sur les pavés des Chartrons, faisant trembloter le timbre en une musique aigrelette.
Mars 1964. Mon père me fait rentrer dans limprimerie. Jy resterais trente ans.
A quarante-quatre ans, je suis lâchement licencié, comme beaucoup de mes amis. On ne ma pas expliqué pourquoi. Je nai pas cherché non plus à le savoir.. Ce verdict a assassiné ma vie à partir de ce moment. Les holding ont le droit de cuissage sur les ouvriers et disposent de leurs existences comme on jette un mouchoir.
Mars 1964. Mon enfance bascule.
Nos vélos à la main mon père, mon frère et moi-même entrons dans le sanctuaire par une immense porte de fer. Je respire vite, mon cur bat très fort.
Des odeurs inconnues et puissantes assaillent mes narines.
Au rez-de-chaussée une terrible cacophonie de machines offset me vrillent les tympans. Une odeur dencre dimprimerie stagne en permanence, colonisant le moindre recoin. Des gens partout. Ils se hâtent, courent, sapostrophent. Les ordres fusent Les apprentis nettoient les rouleaux à lessence. Les cylindres tournent à une vitesse folle. Les ouvriers font des mélanges sur des grandes pierres. Ils mettent une petite touche dencre dans un coin et latténuent en frottant le papier. Ils comparent ensuite la teinte obtenue avec un échéancier ou la couleur imposée par le client.
Je monte à létage où travaille mon père. Nous prenons un petit escalier de fer qui grince sous nos pas, jouxtant un ascenseur antédiluvien. Il est chef de service dun atelier de typographie. Délégantes mécaniques cliquettent inlassablement, prenant délicatement létiquette avec de grandes pinces, pour les présenter à une platine où attend la forme, balayée par des rouleaux encreurs. Toutes les machines sont allemandes. Déjà, les Ofmis, bien plus performantes avec leur bruit caractéristique dun cur qui bat, sonnent le glas des vieilles Monefelds, à la cadence bien plus lente.
On me présente aux typos; mon frère travaille avec eux depuis un an. Mon père règne dans ce domaine avec une main de fer. Sévère, mais juste. Il me fait visiter son service. Amoureux des plantes, je constate aussitôt quun vieil aspidistra perché en altitude souffre de la sécheresse. Probablement depuis des années.
Sur des meubles inclinés, où travaillent les typographes, des compositions, entourées de ficelles attendent dêtre «redistribuées» dans leurs casses correspondantes. Certains gros caractères sont en bois. Un petit meuble abrite un rouleau et une tablette de fer permettant dencrer et donc de relire les épreuves sur du papier «Barité»
Je me souviens dun texte accroché sur un mur où lon pouvait lire à peu près ceci:
Quest-ce que la belle typographie, sinon celle, au lieu dun masque, offre le visage même du texte.
La poussière de plomb vole partout. Les mains deviennent vite noires.
Une redoutable petite machine à pédales sert à imprimer les cartes de visites. Elles a happée de nombreuses mains féminines et finit sa carrière sous une couche de bronze.
On vient me chercher.
Des visages inconnus me détaillent, me jaugent et me jugent. Quelques paroles sont échangées à mi-voix.
Je suis lautre fils du chef de service. Je dois avoir lair gauche et je me sens mal à laise au milieu de ces adultes. Jai toujours parcouru la campagne dans mon adolescence. Seul, la plupart du temps. Timide, mal dans ma peau, je fuyais les gens, la foule et les sarcasmes de mes ennemis en me promenant dans la nature qui ne me trahissait jamais. Jappris à reconnaître les plantes, les arbres, les champignons et les animaux.
Je ne fis pas grand chose, durant les quinze premiers jours. Je regardais. Je regardais même très longtemps, avant que lon ne me confie une tâche subalterne.
Jappris, bien plus tard, que mes déboires provenaient des jalousies de certains. Jétais entré dans limprimerie par mon père, qui mavait «pistonné». Ce fut sans doute la première et dernière fois de ma vie où quelquun ma aidé .
Depuis, malgré un courage à toute épreuve et des projets biens ficelés aucune personne na jugé bon de cautionner mes projets. Bien sûr, ces gens là nont pas été avares dencouragements, car cest le plus facile à dispenser. Beaucoup mont donné leur parole, tous ne lont pas tenue.
Mon arrivée dans la grande maison se faisait donc au détriment des circuits habituels du Syndicat ou de lécole. Je nétais pas le bienvenu.
Bien entendu, je dus aller chercher léchelle à monter les reports, ainsi que la pompe à gonfler les cylindres. Je parcourus limprimerie de la cave au grenier, et chaque personne interrogée menvoyait un peu plus loin Mais cela nétait pas bien méchant. Je fis de même par la suite avec les nouveaux venus.
Je devenais donc photo mécanicien. A cette époque, la copie sur plaque de zinc requérrait une foule dopérations.
Il fallait décaper la plaque dans de grands bassins. Pour cela nous utilisions de lacide acétique, assez proche du vinaigre. Ensuite, après rinçage, nouvelle friction à lalun et pour terminer, acide nitrique dilué. Notre jeu préféré consistait à laisser un petit morceau de zinc dans un bocal empli de cet acide. La réaction fumigène qui sensuivait obligeait tous les services à ouvrir leurs fenêtres.
Après un rinçage à grande eau, nous arrimions la plaque dans dimmenses tournettes à laide de pinces.
Nous versions, à faible vitesse, une sorte de collodion au bichromate. La rotation égalisait la couche quil fallait faire sécher. Malheureusement, les nombreuses bulles, qui ne manquaient pas de se former nous obligeaient à recommencer lopération. Après positionnement du montage sur la plaque sensibilisée, nous insolions à laide dune lampe à arc, dont le principe reposait sur la loi du carré de la distance.
Les charbons de la machine crachotaient en dégageant de la fumée, mais léclairage était intense.
Le développement se pratiquait au bleu de méthylène produit infiniment colorant pour nos doigts. Séchage. La retouche demandait des soins extrêmes que lon ne confiait pas au premier venu.
Il fallait alors plonger la plaque dans un bain de morsure, à lodeur atroce, qui mettait en creux toutes les parties protégées de la lumière.
A laide dun chiffon, nous frottions vigoureusement le report pour faire pénétrer dans les creux une laque rose destinée à recevoir lencre dimprimerie.
Ensuite, inversion dans un bain dacide sulfurique. Jai le souvenir très net de ma blouse bleue constellée dénormes trous dus à ce produit corrosif.
Le dépouillement, à la brosse et à leau achevait déliminer le bleu de méthylène.
Seul restait le sujet préservé par la laque et lencre noire.
Une lotion dacide phosphorique achevait la préparation tandis quune solution de gomme arabique protégeait le travail terminé, prêt à partir en machine.
Plus tard sont apparues les plaques pré sensibilisées en aluminium. Les opérations, extrêmement limitées apportèrent un gain de temps extraordinaire. Nous passions une heure et demie pour un report en zinc, alors quil nous fallait désormais moins dune demi-heure pour réaliser une plaque de ce genre nouveau.
La remise qui abritant les produits était une pièce close, fermant à clé. Il nétait pas rare, lorsque, à laide dun entonnoir et dun filtre je préparais la solution au bichromate, de me faire enfermer.
Peu de temps après une insupportable odeur dammoniaque se répandait dans le petit local. Des farceurs glissaient invariablement le redoutable et odorant liquide par-dessous la porte.
Jétouffais. Je mettais mon mouchoir sur la bouche. Je pleurais toutes les larmes de mon corps tant le produit concentré était irritant pour les yeux;
Jessayais bien de le neutraliser avec de lacide acétique, mais rien ny faisait. Je nétais pas le seul à subir ces plaisanteries et le point dhonneur consistait à ne rien dire, ne pas appeler. Les farceurs, des ouvriers, la plupart du temps, déconfits par votre résistance ouvraient la porte très déçus de votre mutisme, mais seulement une demi-heure plus tard.
OSTREA.
Princesse nacrée, aux senteurs océanes, ta couche de porcelaine abrite le fruit que tu défends. Nombreux les prédateurs par toi sont attirés, pour déguster ton corps aux formes voluptueuses comme il en naissait autrefois sous le pinceau des maîtres de jadis.
Dans lécrin de nacre aux pastels irisés, tu nous fais parfois loffrande dun tout petit bijou. Que nai-je apprécié, le regard vers linfini ta nature suave qui descendait en moi, hédoniste gourmet.
Et en fermant les yeux, je devine les rivages et les parcs où tu fus élevée avec des soins jaloux, pour que de ton être tu enchantes nos curs et nos palais aussi Jaime bien respirer ton écaille sauvage où des hôtes étrangers sont parfois accrochés.
Il me souvient alors de mes débuts denfance où dans mon innocence, je découvrais, pour la première fois lexaltation sublime de savourer ta chair. Et je gravais alors dans ma jeune mémoire et jusquau bout des jours, cet instant merveilleux où je te rencontrais.